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1 - Week-end à Rome



Esteban observa la piscine où le soleil de fin d’après-midi dessinait des zébrures dorées sur l’eau huileuse et ondoyante. Une chaleur intense se dégageait des dalles de la terrasse de cette villa typique du vieux quartier de Testaccio, à Rome.
Étendu sur une chaise longue à l’abri des regards, sous un auvent en lin beige tendu entre deux palmiers en pots, il ferma les yeux pour savourer une dernière fois la sérénité exceptionnelle des lieux. Il était arrivé l’avant-veille, chaudement invité par Luigi, un riche étudiant qui avait acquitté tous ses faux frais pour s’offrir le privilège de sa compagnie.
Les deux jeunes hommes s’étaient rencontrés grâce à l’application de rencontres gay Mixxter. La plateforme promettait des échanges basés sur les centres d’intérêts culturels de ses membres. Mais en vérité, les conversations tournaient souvent vite autour des pratiques sexuelles, des fantasmes ou des considérations purement physiques.
Esteban n’était pas de ceux-là.
En atterrissant à Rome, deux jours plus tôt, il imaginait apercevoir la villa Médicis, flâner du côté de la Piazza di Spagna, ou pénétrer dans l’enceinte mythique du Colisée. Mais Luigi, avec son insatiable appétit sexuel, lui avait rapidement laissé comprendre qu’ils n’auraient pas le temps pour visiter le Musée du vatican, ni gravir le Mont Palatin, ou encore moins s’égarer dans le Trastevere.
Élevé dans la plus pure tradition des familles riches romaines, Luigi exigeait un retour sur investissement des plus agréables, pour les deux parties. Et il avait largement profité de la sensualité et de l’endurance dont Esteban se vantait, à juste titre, sur son profil Mixxter, où il publiait de belles photos de lui en noir et blanc et en tenue d’Adam.
Le jeune Italien au teint mat et aux cheveux noirs, assumait un léger surpoids, mais n’était pas dénué de charme, pour ses vingt-six printemps. Sensuel, généreux et gourmand, il disposait d’un humour et d’une culture qui lui permettaient de sortir de presque toutes les situations.
Esteban avait vingt-et-un ans, les cheveux châtains, mi-long, dans un carré légèrement ondulé. Il possédait une peau nette et claire, des yeux gris bleuté, avec de longs cils noirs, d’une incroyable beauté. Son nez petit et droit surplombait des lèvres rouges et sensuelles. La finesse de son corps juvénile n’était pas sans rappeler les canons des statues antiques où les éphèbes étaient considérés avec envie et respect. Cette plastique anachronique, pourtant harmonieuse, le complexait. Bien que beau garçon, Esteban se voyait régulièrement éconduit. Selon lui, les jeunes hommes désiraient désormais des amants grands, bruns, musclés, très membrés, le corps velu et les épaules carrées. Le jeune homme acceptait cette discrimination à contrecœur, consentant parfois à fournir de gros efforts, en échange de la sensualité et de l’affection dont il manquait tant.
— Tu veux dîner avec moi ? Ton avion décolle à quelle heure ? l’interrogea Luigi, en rabattant d’un geste maniaque son peignoir en soie Versace sur ses cuisses.
— D’ici trois heures, rétorqua Esteban, de sa voix douce. Je vais devoir me mettre en route. J’ai deux cours de piano à donner, demain matin.
— Dommage, poursuivit malicieusement le jeune Italien. Il y a une délicieuse pizzeria, à quelques rues d’ici, tu aurais beaucoup aimé. Et puis, tu ne m’as toujours pas montré tes partitions.
— Avoue qu’elles ne t’intéressent pas comme que tu le prétendais…
— Je t’ai dit que mon oncle travaillait dans ce milieu et que tu pourrais éventuellement susciter sa curiosité. Mais moi, je ne suis qu’un simple mélomane. Et puis, quand j’ai vu tes photos, j’aurais raconté n’importe quoi pour t’attirer dans ma tanière. J’aime trop ton corps aux proportions parfaites.
Esteban se leva avant de feindre la consternation en appliquant le revers de sa main contre son front, à la manière d’un grand tragédien :
— On livre parfois son corps en pâture aux regards indécents de ceux qui nous envisagent comme des objets. Mais on tait nos sentiments, comme si la véritable pudeur avait changé de camp. Ne surtout jamais montrer qu’on aime, de peur d’être mis à nu…
Luigi fut stupéfait par la profondeur de cette déclaration philosophique. Et Esteban, poursuivant son numéro de comédien, fit mine de s’évanouir, tombant de ton son long, raide et droit, nu, dans la piscine.
Il demeura sous l’eau plusieurs longues secondes, comme s’il était effectivement mort. Il n’écouta que le silence, retrouvant la solitude dont le privait ce voyage inattendu. Peut-être valait-il mieux tracer immédiatement un trait sur les faux espoirs que Luigi avait semés en lui, pour le séduire.
Il sortit juste les yeux de l’eau, glissant sous la surface, tel un alligator ayant repéré sa proie, bien décidé à ne pas le laisser filer.
Arrivé au bord du bassin, il bondit d’un saut agile et empoigna fermement Luigi par les hanches pour le balancer d’un geste ample au milieu de la piscine dans un énorme éclaboussement.
Tandis que Luigi se plaignait de son manque de considération, tout en se débattant dans son peignoir de luxe, le jeune homme s’approcha d’une démarche assurée jusqu’à la table du salon de jardin où il saisit une pomme dans la corbeille de fruits. Il la fit machinalement rouler de son biceps à son avant-bras, avant de la pousser à rebondir pour l’attraper en vol et la croquer à pleines dents. Il pénétra ensuite dans l’ancienne demeure aux murs framboise pour s’asseoir devant le piano droit dressé à l’entrée. Sans perdre un instant, il commença à jouer l’une de ses compositions personnelles, comme si c’était pour lui le seul moyen de les faire entendre.
Depuis la piscine, Luigi fut immédiatement impressionné par l’atmosphère singulière qui se dégageait de ce morceau inédit. Après seulement quelques notes, la villa ancienne semblait retrouver le lustre et la noblesse de ses premiers propriétaires, quelques siècles plus tôt.
Il abandonna son peignoir dans le bassin ensoleillé et sortit de l’eau avec empressement pour empoigner son smartphone. Depuis la terrasse, on voyait Esteban, nu face au piano, droit et concentré, les yeux clos, au centre d’un rayon de soleil, comme s’il vivait chaque note de sa partition qu’il connaissait par cœur.
Luigi photographia le pianiste passionné à de multiples reprises, immortalisant la silhouette fine d’éternel adolescent de son jeune invité. Puis il le rejoignit et s’agenouilla derrière lui pour lécher une goutte d’eau glissant le long de sa colonne vertébrale et remonter jusqu’au creux de son cou pour y déposer un baiser.
— Tu es beau comme le diable, quand tu joues, constata-t-il de sa voix chaude avec son ravissant accent italien, les yeux brûlants de désir. J’aime ta peau douce, comme celle d’un enfant et tes manières de mâle sûr de lui. J’ai envie de toi. Prends-moi encore une fois.
Mais Esteban demeura insensible à ses avances, les paupières closes, les lèvres gonflées, comme s’il appartenait à un autre monde.
Pour l’extirper de son intense concentration, Luigi lui mordilla l’épaule et le pianiste cessa aussitôt de jouer :
— Ce n’est pas très respectueux, lui reprocha-t-il d’une voix sourde, mais virile. On n’interrompt jamais un musicien au milieu de son récital.
— Allons, viens, dans la chambre avec moi, mon adorable Mozart. Je te sucerai comme tu aimes, j’ai trop envie de ton corps. Tu pourras m’attacher, si tu veux. J’aime quand tu me prends en missionnaire, en me mordant et en me tirant les cheveux.
— Quatre fois, depuis ce matin, ça ne te suffit pas ? questionna Esteban en plissant les yeux, d’un air accusateur.
— Et alors ? Tu devrais être flatté de te sentir désiré ainsi, pourquoi seulement quatre fois ? répondit l’étudiant en contournant le banc pour écarter les cuisses du pianiste et gober sa queue qui commençait à bander.
Mais Esteban le repoussa, avant de se lever brusquement, en serrant les poings.
— Contrairement à ce que tu prétendais dans ton profil, tu ne t’intéresses absolument pas à la musique. Tu voulais juste quelqu’un qui vienne de loin et qui ne te poserait pas de problème vis-à-vis de ta famille d’homophobes, au cas où les choses tourneraient mal.
Luigi s’assit à califourchon sur le banc, satisfait de voir le sexe de son amant tendu à l’horizontal, encore luisant de sa salive.
— On a déjà voulu me faire chanter ! S’ils apprenaient mon homosexualité, mes parents seraient capables de me tuer. Les Italiens sont des arriérés sociaux, en matière de droits LGBTQ. Dans ma famille d’intégristes catholiques, on applaudit debout lorsqu’une une agression homophobe est commise.
— Prends ton indépendance et assume-toi ! À vingt-six ans, il est temps de voler de tes propres ailes, même en tant qu’étudiant. L’homophobie est une aberration, être gay n’a rien d’anormal ! Tu comptes cacher ta vraie nature pendant toute ta vie ?
— Chaque jour, je repousse mon coming out à plus tard. Je crois que je n’aurai jamais le cran que tu as eu de préférer quitter tes parents, plutôt que de subir leurs reproches.
— Tu n’es pas responsable de la méchanceté des autres, déclara Esteban en avançant dans le contre-jour de l’encadrement de la fenêtre, offrant un superbe point de vue sur sa silhouette d’éphèbe. Mais en venant chez toi, je pensais juste que tu m’aiderais à trouver du travail. Puisqu’on en est aux confidences, mon existence à Paris est précaire. Je dois gagner ma vie par tous les moyens et j’imaginais avoir à faire à une oreille intéressée par mes créations. Je me suis trompé et je suis déçu.
Luigi se rendit dans sa chambre avant de réapparaître avec quatre billets de cinquante euros.
— Garde ton argent ! protesta Esteban, en voyant les billets déployés en éventail, les mains relevées, comme pour ne pas être souillé. Nous avons passé tout le week-end à faire l’amour, j’aurais l’impression de m’être prostitué. C’est hors de question !
— Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ? Pas la peine de me faire la morale, avec tes principes de vieux. J’aimerais bien qu’on me propose de l’argent, moi !
Esteban leva les yeux au ciel et rassembla ses affaires disséminées sur la terrasse et autour du lit, en quelques instants.
— Je t’en prie, ne te vexe pas, Esteban. Prends-les avec toi. Considère cet argent comme un dédommagement. Je sais que tu as parcouru plus de mille kilomètres sans un sou en poche. Un jour, tu seras un compositeur célèbre. Ça se voit, ça se sent. Tu as la musique dans la peau. Pas de fierté mal placée, avec moi. Je… Je suis sincère…
Le jeune Parisien ne voulut rien entendre et Luigi profita qu’il se rendait à la salle de bains pour glisser ses billets dans la poche intérieure de son sac de sport.
— J’aimerais vraiment te revoir, Esteban, lui déclara-t-il, alors qu’il revenait vers lui. Si je venais passer un week-end avec toi, tu pourrais m’héberger, à Paris ?
Esteban l’attrapa par la taille et l’embrassa tendrement sur les lèvres.
— Évidemment, même si je n’ai qu’un lit d’une place. Mais je sais d’avance qu’on ne dormira pas beaucoup. N’est-ce pas ?
Il griffonna son adresse sur un post-it et le colla sur son oreiller.
— Je ne vais pas changer les draps, avoua Luigi. Je me branlerai en sniffant ton odeur.
Des bruits de portes et de clés provenant de l’étage inférieur troublèrent ces charmants adieux.
— Luigi ? Sei qui ? cria une voix féminine.
L’intéressé croisa le regard de son invité, une expression de terreur se lisant sur son visage :
— Cette fois, c’est la fin, chuchota-t-il.
Esteban prit immédiatement la mesure de la situation. Sans perdre son sang-froid, il scruta la chambre à coucher et ramassa les mouchoirs, les préservatifs, le harnais, les godes et les plugs avec lesquels ils avaient joué, avant de tout jeter sur le lit, pour en rabattre la couette d’un geste large.
La mère déambula dans la pièce au même instant, tel un ouragan, comme si elle pensait surprendre des cambrioleurs.
Elle observa Esteban, un mélange de ravissement et d’horreur dans les yeux.
Avec ses cheveux bouclés, encore mouillés, son visage angélique et ses proportions scandaleusement bien mises en valeur, dans un short court, et une chemisette ouverte de manière aguicheuse sur un torse glabre, le doute n’était plus permis. Esteban était bien trop charmant pour ne pas avoir conquis son garçon, esthète dans l’âme.
Elle baissa les yeux, murmurant le prénom de son fils d’un ton mourant, signifiant toute sa déception de mère.
Luigi observa Esteban, la larme à l’œil, comme s’il attendait de lui de sauver la situation, par n’importe quel moyen.
Mais le Parisien laissa cruellement le silence s’installer un instant, comme si celui-ci était nécessaire et qu’il faudrait en passer par là, de toute façon.
— Ciao, mi chiamo Esteban. Sono felice di conoscerla. La Sua casa è bellissima. (Bonjour, je m’appelle Esteban. Je suis enchanté de faire votre connaissance. Votre maison est magnifique).
La mère sortit de sa torpeur, par réflexe poli.
— Grazie (Merci), répondit-elle simplement, comme si elle avait tout compris, le week-end sensuel pendant son absence, l’homosexualité de son fils, la tentative de contact de la part d’Esteban.
Elle quitta la pièce d’un pas funèbre, abasourdie, refermant délicatement la porte derrière elle, comme pour faire disparaître un secret honteux.
Luigi fondit en larmes et Esteban le serra aussitôt dans ses bras.
— Je suis désolé, lui dit-il. Ce n’est jamais le bon moment pour un coming-out. Si elle était arrivée une heure plus tôt, elle t’aurait surpris à quatre pattes au bord de la piscine. C’est mieux ainsi. J’ai commandé un Uber, il ne va pas tarder.
Luigi plongea son visage au creux de son cou pour humer son parfum et en remplir ses poumons.
— J’aimerais avoir ta force, Esteban. Merci de ta visite.
— Ne laisse jamais personne t’imposer sa vision de l’amour. Tu ne fais rien de mal, Luigi.
Ils s’embrassèrent sur les lèvres et Esteban s’engouffra dans le véhicule qui l’attendait déjà au pied de la villa romaine.
Il n’avait pas encore quitté la ville qu’il reçut ce message :
« Tu me considères probablement comme un vulgaire plan cul que tu as baisé durant tout un week-end, mais pour moi, tu représentes beaucoup plus. J’espère que tu vas trouver ta voie dans la musique et que j’aurai à nouveau la chance de croiser ta route. Ciao bellissimo ! »
Esteban lui répondit aussitôt :
« Je t’ai fait l’amour, car je n’ai jamais baisé de ma vie. Bon courage pour ton coming-out. Sois fort ! »

Le jeune Parisien scruta Rome rapetisser derrière le hublot de l’avion qui le ramenait à Paris, la gorge serrée. Il imaginait l’épreuve que traversait Luigi et il craignait que sa famille lui fasse payer cher son homosexualité.
— Vous savez dans combien de temps nous arrivons ? lui demanda son voisin en collant accidentellement son genou contre le sien.
Esteban observa avec surprise celui qui le sortait brusquement de ses préoccupations de voyageur lessivé, après de multiples prouesses sexuelles.
— Vers vingt-et-une heures trente, lui répondit-il machinalement, avant de revenir au hublot.
— Quelle belle cité, n’est-ce pas ? insista l’inconnu, comme si le jeune homme détaillait la grande ville italienne pour la beauté de son architecture.
Esteban, fixa son interlocuteur. Il avait une trentaine d’années, les yeux bleus, les cheveux noirs et le teint mat, quelques kilos de trop, mais une expression emprunte de bienveillance.
Esteban ne lui répondit pas et fit mine de vouloir s’endormir en remontant son blouson jusqu’à son menton.
Mais l’homme comprit son manège et sortit son smartphone en dirigeant l’écran de telle sorte que son voisin puisse le voir.
L’inconnu l’avait probablement identifié et localisé grâce à l’application Mixxter.
Il fit défiler des photos de son profil où on le voyait nu, arborant de belles fesses et une queue de dimension impressionnante.
Puis il consulta celui d’Esteban, avant de lui envoyer un message privé :
« Je vais me rendre aux toilettes, rejoins-moi et tu pourras me sucer. »
L’homme s’exécuta aussitôt, une belle bosse, dissimulée derrière un pull tenu à la main, déformant déjà son pantalon.
En guise de réponse, le jeune Parisien activa le mode avion de son smartphone et lui tourna le dos, le casque sur les oreilles, écoutant Chopin pendant tout le reste du voyage.
Fantasque, rêveur et sentimental dans l’âme, Esteban n’était pas du genre à s’agenouiller dans des toilettes exiguës pour contenter un inconnu trop sûr de lui.
Peut-être se doutait-il que le temps des errances et des amants furtifs était révolu. Il rêvait d’un homme qui pourrait l’aimer tel qu’il était, sincère, honnête, avec ses failles et ses nombreux défauts.
De sa main malicieuse, le hasard venait de rebattre les cartes. Et si l’As de cœur l’attendait sur sa route, il l’avait revêtu de haillons pour qu’il ne puisse pas le reconnaître.



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