L’Amour suprême de Taram Boyle (lecture gratuite)

Taram Boyle L'Amour suprême

 

L’Amour suprême

 Taram Boyle




1 – Le corsaire et le voleur


Jérémy sortit nonchalamment du bassin de la piscine des Halles, en retirant d’un geste assuré son bonnet et ses lunettes de plongée. C’était un charmant garçon d’un mètre soixante-quinze aux épaules carrées, avec les muscles et la minceur des jeunes gens de son âge. Brun et mat de peau, ses grands yeux bleus aux longs cils humides trahissaient sa candeur et même une certaine naïveté. Sa plastique attirait l’œil et, même si son apparence physique lui importait peu, les habitués le suivaient rêveusement du regard, lorsqu’il déambulait sur le carrelage mouillé qui menait vers les vestiaires. Et s’il attirait tant, c’était peut-être parce qu’il n’avait pas réellement conscience de sa beauté, qu’il considérait comme un avantage superficiel.

Il frotta énergiquement son corps sous la douche en ignorant deux jeunes hommes qui se taquinaient dans une bagarre fraternelle. Leur chahut, constitué de tapes sur les fesses et de tirages de tétons, se termina dans des caresses équivoques qui émoustillèrent le jeune homme, au point de lui provoquer un début d’érection. Par pudeur, il empoigna sa serviette pour cacher son sexe proéminent et s’enferma dans une cabine pour retrouver le confort rassurant de la solitude. Il fut heureux de constater que rien ne manquait à son sac de sport. En allumant son smartphone, la photo de deux beaux jeunes hommes nus, en érection, blottis l’un contre l’autre et s’embrassant langoureusement, apparut brusquement à l’écran.

Jérémy eut aussitôt le souffle coupé par ce violent rappel à ce qu’il avait admiré avant d’aller se baigner. C’était la dernière image que lui avait proposé l’application Privafun, où tous les fantasmes des internautes étaient publiés. Le jeune Parisien n’osait pas encore se l’avouer, mais il éprouvait une certaine fascination à observer des jeunes mâles ensemble. Il ne considérait pas cela comme du voyeurisme, mais plutôt comme de la curiosité et une preuve d’ouverture d’esprit. Il adorait l’idée que des hommes puissent s’aimer d’une manière inconditionnelle, en toute liberté, dans une vérité brute que rien ne pouvait entacher.

Son érection retombée, il enfila ses chaussettes et remarqua une boule de papier au sol. Il la ramassa pour découvrir un billet de vingt euros bien chiffonné qu’il enfonça avec satisfaction dans la poche de son manteau. Pour quelqu’un sans le sous comme lui, cette découverte était providentielle.

Après avoir séché et coiffé ses cheveux, il traversa le Marais pour aller acheter les falafels qu’il comptait offrir à sa mère dont c’était l’un des plats préférés.

C’est à ce moment que le ciel gronda et, avant même qu’il ne trouve un abri, des trombes d’eau s’abattirent brusquement sur lui.

Il aperçut alors une vitrine éclairée où de nombreux badauds étaient rassemblés. Sans hésiter un instant, il s’infiltra dans cette galerie d’art, tel un intrus, avec un mélange d’intérêt et de peur d’être repéré. Autour de lui, les invités, surtout des quinquagénaires, scrutaient les œuvres d’un air conquis, tout en sirotant une coupe de champagne. Un serveur vint lui en proposer une, mais il déclina aussitôt la proposition en levant la main, car il ne buvait quasiment jamais d’alcool. Jérémy était ce genre de garçon pour qui l’hygiène de vie était impérieuse. Il n’absorbait aucune drogue, ne fumait pas et on ne lui connaissait aucune conquête sérieuse. Il était pourtant mignon avec ses cheveux foncés, son teint mat, ses fossettes, son sourire espiègle et son regard d’ange.

Jérémy s’arrêta cérémonieusement devant une immense photographie aux couleurs saturées où chaque détail semblait plus vrai que nature. On y voyait un torse aux muscles saillants traversé par des barres de métal desquelles coulait du sang. L'œuvre était signée « Stéphane Davouret », un nom qu'il avait déjà probablement entendu, mais sans qu'il ne se souvienne dans quelles circonstances.

Il effectua une petite grimace de dégoût devant cette scène de torture hautement esthétique et il sentit aussitôt qu’on l’observait depuis l’extrémité de la pièce. Jérémy se retourna, mais trop tard. Un groupe de jeunes gens bavardaient et, vu leur attitude désinvolte, ils devaient être des habitués des lieux. Il se dirigea instinctivement dans leur direction, contemplant au passage une photographie représentant le profil d’un homme nu à quatre pattes dont le derrière refluait une épaisse fumée noire semblable à celle, polluante, d’une automobile.

Le jeune nageur remarqua la présence d’un homme marginal en tenue de corsaire tourné dans sa direction. Grand et carré, la trentaine, son visage blême contrastait avec ses grands yeux sombres et une longue mèche noire glissait de son tricorne pour tomber sur son front. Il portait une superbe redingote ornée d’épaisses boucles en métal, ainsi qu’un long foulard blanc et un cache-œil. Il discutait devant la photo d’un énorme pénis qu’un couteau pointu pénétrait en coupant le gland rose dans le sens de la hauteur, comme une fraise.

— Tu es très photogénique, fit remarquer une femme en riant, à l’intention du corsaire, juste au moment où le jeune sportif passait derrière elle :

— Tais-toi, je ne veux pas que les autres sachent, lui répondit l’intéressé d’une voix grave, presque sourde. Tu sais très bien que Stéphane ne veut pas qu’on apprenne que je l’ai prise sans lui.

Jérémy comprit aussitôt que ce sexe aux proportions impressionnantes appartenait à ce pirate d’un nouveau genre. Loin de le séduire, il trouva cet homme plutôt étrange, inquiétant et même repoussant, à simuler une mutilation de son sexe par amour de l’art.

Le jeune Parisien poursuivit l’inspection jusqu’au buffet où, s’acclimatant peu à peu à l’ambiance festive, il avala plusieurs mignardises.

Elles étaient savoureuses et, après avoir tant nagé, il en dégusta une dizaine avec appétit. Il s’empara ensuite d’un verre de cocktail sans alcool et il le jugea tellement exquis qu’il en but aussitôt un second, avant de se resservir une troisième fois :

— Je peux vous demander votre carton d’invitation ? lui somma une voix virile, haut et fort, juste derrière lui.

Jérémy se retourna brusquement et demeura pétrifié à l’idée d’être ainsi démasqué.

Il est vrai que la faim lui avait fait oublier ses bonnes manières.

Devant lui se tenait un petit sexagénaire chauve, assez distingué dans son costume bleu marine aux boutons de manchettes sertis de pierres précieuses. À voir son expression dure et accusatrice, il allait falloir lui fournir une sérieuse explication.

Le brouhaha qui planait dans la galerie depuis son arrivée s’estompa, avant qu’un silence pesant ne s’installe :

— Eh bien ! Je vous écoute, insista l’homme d’âge mûr, dont les yeux pâles lui conféraient une expression intimidante. Qui vous a invité ?

Jérémy sentit une vague de chaleur le submerger, signe qu’il devait être rouge comme une écrevisse. Mais alors qu’il comptait battre en retraite, s’enfuyant comme un voleur, humilié devant cette cour de bobos blasés, quelqu’un vint à son secours :

— Voyons, mais c’est moi, Stéphane ! déclara une voix grave au milieu des convives.

Le jeune sportif reconnut aussitôt le corsaire qui avançait dans sa direction avec assurance.

— Tu le connais ? questionna le vieil inconnu d’un œil dubitatif en resserrant son nœud de cravate, d’un air contrarié.

Le pirate s’approcha de Jérémy pour lui faire aussitôt une accolade un peu exagérée :

— Eh bien ! Présente-toi donc, lui dit-il en le secouant de manière fraternelle et en le pressant virilement, comme s’ils se connaissaient de longue date.

— Je m’appelle Jérémy, lâcha-t-il avec hésitation, j’ai dix-neuf ans. J’étudie l’architecture à Belleville et… J’adore ce que vous faites.

Le visage du sexagénaire s’adoucit aussitôt, avant de laisser enfin apparaître un sourire timide :

— Voyons, il fallait le dire tout de suite. Excuse-moi, Jérémy, mais j’en ai tellement assez de tous ces pique-assiette qui ne connaissent rien à l’art et qui ne viennent ici que pour s’empiffrer gratuitement. J’ai soupçonné un instant que tu étais l’un d’entre eux. Ne m’en veux pas....

— J’avoue que j’ai un peu abusé, poursuivit Jérémy, les joues toujours pourpres. Je sors du sport et je suis affamé. Ici tout est tellement beau et délicieux.

Le flibustier lâcha son épaule et lui passa la main dans les cheveux pour lui tapoter affectueusement le crâne. Il attrapa ensuite son menton au creux de sa main :

— J’ai pensé qu’il pourrait poser pour toi, Stéphane. Regarde ses grands yeux bleus, sa peau si délicate, ses lèvres roses, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Il ne t’inspire pas ? Tu ne le verrais pas, attaché, malmené, taché de sang ?

L’artiste l’observa, comme s’il hésitait à acquérir un objet décoratif :

— C’est vrai que tu es très beau, avec beaucoup de charme. Mais je ne pratique que le nu, comment veux-tu que je me décide, avec tous ces vêtements ? Ce n’est pas ton visage qui m’intéresse. J’ai besoin de tout voir… Je passerai demain matin chez Malik à 10 heures, cela te convient ?

Voilà comment se prénommait le corsaire qui venait de lui sauver la mise « Malik » :

— Oui, acquiesça humblement Jérémy, sans avoir aucune intention de tenir sa promesse. Merci Malik de nous avoir présenté et merci à vous, Monsieur Davouret.

Le jeune Parisien s’était arrêté là quelques instants, simplement pour se protéger de la pluie. Dans son esprit, cette étape loin de sa réalité ne pouvait entraîner la moindre incidence. Il était temps qu’il reparte vers sa véritable vie, loin de cet univers étrange fait de mondanités et de faux-semblants.

Il attendit que l’artiste s’éclipse au milieu de son public, avant de se tourner vers Malik :

— Je te suis reconnaissant, c’était très généreux de ta part de me couvrir… Je ne savais plus où me mettre…

Le corsaire attrapa une coupe de champagne et la pointa vers lui, comme s’il allait la lui offrir, mais il se ravisa au dernier instant avant d’en boire une gorgée :

— J’étais sérieux quand je disais que je te verrais bien poser pour Stéphane Davouret, avec ta petite tête d’ange. Tu le connais, j’imagine…

Jérémy hésita et détourna les yeux :

— Non, absolument pas. Je viens tout juste de découvrir ses œuvres. C’est assez spécial. La torture, les sévices sexuels, ce n’est pas mon truc. Je suis très classique et je...

Jérémy s’arrêta de parler, troublé, comme irrépressiblement attiré par la noirceur du regard de Malik. Il y avait dans ses yeux quelque chose d’hypnotique, comme une voix puissante qui était en train de le happer, en lui faisant oublier l’effervescence des nombreux invités.

— C’est métaphorique, le coupa-t-il de son timbre viril, en monopolisant son attention. Il représente la souffrance que peut engendrer le désir, les diktats de la beauté, l’addiction au plaisir et à la pornographie, la difficulté à assumer ses fantasmes et sa sexualité… Stéphane Davouret travaille pour un grand groupe de luxe. Il conçoit des vêtements, du mobilier, des tapis, des décors de palaces. Il exerce la photographie, comme violon d’Ingres, pour se distraire. Mais si tu lui plais, il pourra changer ta vie, comme il a changé celle de tous ceux qu’il aime.

Jérémy attrapa un plateau de mignardises sucrées et pensait bien faire en proposant ces réductions à son interlocuteur, mais le plat en carton doré plia sous le poids des pâtisseries et plusieurs tombèrent sur la veste de Malik avant d’atterrir par terre.

Le jeune homme écarquilla les yeux de stupeur et observa Malik qui, furieux, reculait d’un pas pour constater les dégâts sur ses vêtements.

Jérémy s’empressa de s’agenouiller, pour réparer discrètement les dégâts.

— On peut dire que tu es doué, commenta Malik en saisissant des serviettes pour frotter ses vêtements. Regarde un peu ce que tu as fait. Viens avec moi !

L’invitation fut lancée avec une telle force de conviction que Jérémy sentit qu’un refus ne figurait pas dans les options possibles. Il déposa l’assiette avec les réductions gâchées sur un coin du buffet et suivit aussitôt le pirate. Celui-ci le conduisit dans un couloir débouchant sur les toilettes privées de la galerie et Malik verrouilla la porte derrière eux.

Dans le grand miroir surplombant les lavabos, Jérémy réalisa que le corsaire faisait une tête de plus que lui. Bien qu’étant mince, il semblait plus corpulent, plus carré, plus robuste.

Il retira sa redingote et l’étala sur les lavabos.

— Non, mais regarde-moi ce carnage ! commenta-t-il en contemplant les traces de crème. Je suis invité au dîner en l’honneur de Stéphane Davouret, juste après. Je ne peux pas m’y rendre dans cette tenue !

Jamais à court de solutions, Jérémy attrapa une pile de serviettes en papier, les imbiba d’eau et s’agenouilla pour nettoyer les chaussures. Il les frotta tant et si bien qu’elles parurent bientôt rutilantes. Il poursuivit ensuite en brossant le pantalon noir jusqu’à ce que les traces de crème aient totalement disparu.

Il était satisfait de son ouvrage lorsqu’il constata un détail inhabituel devant ses yeux. En effet l’étoffe du pantalon gonflait à vue d’œil.

Était-il possible que…

Non !

Mais si ! Malik bandait.

Jérémy leva les yeux, constatant que le pirate prenait un plaisir indescriptible à le scruter de haut.

— Tu es encore plus beau dans cette position, lâcha-t-il de sa voix profonde, presque sombre, avant de caresser sa joue pour venir effleurer ses lèvres de son pouce.

À la fois subjugué et conquis par son regard si noir, Jérémy entrouvrit ses lèvres où le pouce du pirate pénétra aussitôt doucement.

Une excitation puissante s’empara du jeune Parisien qui ne tarda pas à bander à son tour et il se risqua à lécher sensuellement le pouce. Il avait un goût de crème Chantilly, ce qui acheva de le convaincre qu’il ne faisait rien de mal.

— Relève-toi, lui somma Malik, en extirpant brusquement son doigt d’entre ses lèvres. Sinon, la situation risque de devenir incontrôlable.

Jérémy demeura un instant à genoux, encore sous le coup de cet échange viril d’une extrême sensualité, en réalisant qu’il se sentait comme hypnotisé, esclave de ses pulsions les plus instinctives.

Malik tira une carte de visite de sa poche et la lui tendit.

— Demain matin, viens à 9 heures, nous prendrons le café ensemble, avant l’arrivée de Stéphane Davouret, lui déclara-t-il. Que portes-tu comme sous-vêtements habituellement ?

Jérémy fut stupéfait par cette question à brûle-pourpoint et il rangea la carte dans la poche arrière de son jean pour se donner une contenance.

— Ça… ça dépend. Le plus souvent des boxers ou des maillots, je…

— Eh bien ! Demain tu ne porteras rien, le coupa-t-il. Les dessous sont les ennemis des photographes. Ils laissent des marques disgracieuses et inutiles qu’il faut des heures à retoucher.

Le jeune Parisien se tourna vers la redingote qui avait subi le plus de dommages.

— Je n’ai plus suffisamment de serviettes…

— Ce n’est pas grave, l’interrompit Malik. Donne-moi ton manteau, je vais l’essayer.

Jérémy le retira d’un geste révélant un torse taillé en « V » sous un pull noir moulant.

Le corsaire l’enfila et, même si elle paraissait un peu courte, il parut satisfait en se regardant à travers le grand miroir.

— Ça fera l’affaire pour ce soir.

Le jeune brun trahit sa surprise d’un haussement de sourcils :

— Et moi, que vais-je porter ? Il pleut dehors…

— Je te prête ma redingote, lui proposa-t-il. C’est une Jean-Paul Gaultier vintage, tu n’y perds pas au change. Et puis tu récupéreras ton pardessus, lors de notre rendez-vous, demain matin.

Jérémy attrapa du papier toilette pour ramasser le plus gros de la crème, mais n’insista pas, car l’étoffe lui semblait fragile.

— Maintenant, va-t-en, lui ordonna Malik. Je ne veux pas que Stéphane Davouret te questionne et découvre que je lui ai menti. Il est pour moi d’une importance capitale.

Jérémy endossa la redingote et Malik, posté juste derrière lui, sembla ravi en le voyant à travers la grande glace, ainsi accoutré.

— Décidément, elle te va très bien, commenta-t-il, en s’approchant, comme s’il allait l’étreindre.

Instinctivement, Jérémy ferma les yeux. Il s’attendait à un geste de sa part, comme une caresse, une tentative de le séduire.

Mais Malik ne bougea que pour déverrouiller la porte des toilettes.

— Allons, ne perdons pas plus de temps, les invités risqueraient de se faire des idées.

Jérémy sembla presque déçu par cette dernière remarque. Il venait de vivre une expérience intime totalement inattendue, déroutante et il aurait aimé qu’elle se poursuive de manière aussi étonnante pour s’approcher des secrets désirs qu’il n’osait assumer.

Il traversa le flot de convives et courut sous la pluie battante avant de pénétrer dans une bouche de RER, toujours songeur à propos de cette étrange rencontre.

Ce n’est qu’en arrivant dans son immeuble de Gennevilliers, qu’il constata que son smartphone et le billet étaient restés dans la veste que portait Malik.

 

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